Tirs croisés : réponse d'un camarade

Publié le par tigrou

Le texte suivant est une réponse d'un camarade varois aux propos de Gilles Savary, porte parole royaliste, tenus dans Le Monde du 5/09.

 

« Séparer les choses du bruit qu'elles font ».

Un des nouveaux hérauts du ségolisme, Gilles Savary, vient de prendre la défense de Mme Royal. Dans Le Monde du 5 septembre, il répond aux « tirs croisés » sur sa candidate par des tirs de roquette dont la précision et l’opportunité restent à démontrer.

Gilles Savary part d’un constat intéressant : «  Si l'un des "éléphants" en lice pour la désignation socialiste à la candidature présidentielle avait disposé de l'empathie populaire de Ségolène Royal, il est probable que le Parti socialiste en fût sorti rassemblé, enthousiaste et en ligne derrière son champion. Là, rien de tel ».
C’est bien l’aveu que la favorite des sondages n’a pas une forte capacité à rassembler. On peut donc légitimement s’interroger sur les réserves qu’elle suscite : l’explication psychologique (jalousie de rivaux) ne saurait suffire à rendre compte de ce phénomène de rejet qui, s’il n’est certes pas majoritaire, se manifeste de plus en plus, tant dans le parti socialiste que dans le reste de la gauche.

Il ne sert à rien de poser une nouvelle fois Mme Royal en victime et de soulever l’indignation des masses qui lui sont acquises. Libre aux ségolâtres de rêver d’une grande messe consensuelle. Libre à d’autres de préférer le débat démocratique pour apprécier à leur juste valeur les personnalités, les perspectives et les visions du monde qu’ils proposent.
Quand, en 1995, le PS s’est livré pour la première fois à l’exercice qui consistait à choisir entre un premier secrétaire (Henri Emmanuelli) et un autre candidat (Lionel Jospin), cela n’a pas soulevé de problème majeur et celui qui a gagné l’élection s’en est même plutôt trouvé conforté. La seule note discordante est venue alors de… Ségolène Royal qui avait pronostiqué que cet affrontement ressemblerait à la collision de deux trains lancés l’un contre l’autre. Il est vrai qu’après avoir un instant songé à se présenter elle-même (déjà !), elle avait préconisé le vote blanc – formule qui avait séduit … 4% des militants !

Exposer et s’exposer
J’entends l’argument : Ségolène serait populaire et cette popularité ringardiserait ses concurrents qui eux seraient complètement coupés du peuple ! Est-ce une raison pour la soustraire au jeu du débat - donc de la mise en question - qui donnera au vainqueur de la compétition interne le poids nécessaire pour représenter une alternative de gauche crédible ?

Alors popularité, "peopolisation", populisme ou démagogie ? Je ne suis pas convaincu que la posture médiatique savamment entretenue par le réseau SFR (Ségolène (+ François) Royal) soit la meilleure façon de s’adresser aux classes populaires, sauf à souscrire au principe machiavélique de Mao Zedong : « Le meilleur moyen de gouverner le peuple, c'est de lui faire croire qu'il se gouverne par lui-même ».

Rivaliser dans les gazettes avec Sarkozy dans une guerre des looks où l’un enrôle Doc Gynéco et Johnny Halliday tandis que l’autre prend comme témoin de son engagement national Jamel Debbouze, bientôt relayé par la rapeuse Diams :  on a lieu d’être inquiet. La campagne présidentielle va-t-elle se ramener à cela ? Les Français peuvent aimer la Star’Ac : ce ne sont pas pour autant des groupies ! C’est aux militants, et plus largement à l’ensemble des citoyens, de décider de leur choix, sans se laisser mener par des sondages qui affichent déjà le match du second tour alors même que les épreuves de qualification n’ont pas encore commencé. On ne peut se présenter à une élection aussi importante et esquiver le débat. Être candidat, c’est exposer et s’exposer. Le Parti socialiste, en tant que moteur de la gauche, se doit donner l’exemple : seuls des débats ouverts permettront d’apprécier les tempéraments, mais aussi de voir qui a l’envergure nécessaire  pour diriger le pays dans un contexte national, européen et international particulièrement difficile.
Écoutons la mise en garde de Georges-Marc Benamou, un journaliste qui n’est pourtant pas un fan des grands débats idéologiques : « Pour l’instant, ils (Sarko et Ségo) ont du succès, les audimats sont excellents et les pages people friandes de leur bobine, mais qu’ils se méfient, cela finira peut-être par lasser s’il n’y a pas de débat de fond, pas de choix clair à proposer aux Français ; cela pourrait réserver quelques surprises au soir des résultats » (Nice matin du 2 décembre 2006).

Procès en sorcellerie
Autre grief, que récuse vivement Gilles Savary : l’accusation de dérive "droitière".
Tout le monde s’accorde à dire que les propositions de la candidate manquent de consistance et de cohésion, que le projet en cours d’élaboration (laborieuse) sur Internet est une compilation d’idées hétéroclites. Quand elle a consenti à avancer des propositions plus précises, elle a suscité le plus grand étonnement : damer le pion à Sarkozy sur la répression de la délinquance, vanter les mérites du blairisme, emprunter un slogan à Benoît XVI, adresser un sourire entendu aux altermondialistes, s’attaquer aux 35 heures, tenir un discours d’un simplisme désarmant sur les patrons, digne de la phraséologie Laguiller, etc. Chacun peut y trouver son compte. Mais qu’on se le tienne pour dit : son programme sera socialiste. Et pour que personne n’en doute, elle a choisi comme porte parole Arnaud Montebourg qui n’a voté ni la synthèse du Mans, ni le projet socialiste…
Pour « preuves » de sa crédibilité, elle évoque régulièrement la réussite de sa gestion régionale, faisant un usage immodéré du concept de « démocratie participative » ou vantant les mesures en faveur des jeunes ou des lycéens que d’autres présidents de conseils régionaux ont mises en œuvre sans prétendre pour autant à l’investiture suprême.

Pour Gilles Savary, toutes ces critiques ressemblent à un « procès en sorcellerie ».  Soyons sérieux : cessons de victimiser les uns et de culpabiliser les autres. Il ne sert à rien de vouloir censurer les discours iconoclastes sous prétexte qu’ils compromettraient gravement les chances de la gauche. Si on ne peut pas s’interroger sur les capacités d’un candidat  sans se voir accuser des pires intentions - et forcément de machisme, si c’est une candidate - , où est la liberté ? Qui instruit  le procès en sorcellerie ? S’il est sacrilège de toucher à l’icône, autant s’en remettre aux sondages et faire l’économie d’une élection. Mais alors, à quoi sert alors le Parti socialiste ?

Dernier argument : Mme Royal permettrait de « tourner la page d'une génération politique, d'en renouveler les mœurs (sic) et le rapport au peuple (re-sic) ». C’est faire bon marché de l’histoire : Ségolène Royal appartient à la génération politique incriminée (la génération Mitterrand) : rappelons qu’elle a par exemple seulement quatre ans de moins que Dominique Strauss-Kahn et qu’elle a connu bien avant lui les ors de la République.

Une élection présidentielle ne se gagne pas sur une « posture », fût-elle « dérangeante ». La gauche ne gagnera que si elle convainc le pays qu’elle est porteuse de changement, qu’elle en a la volonté et la capacité. Au pays de Descartes, il doit être permis de ne pas accepter pour vrai ce que l’on n’a pas éprouvé par soi-même. Personnellement, je suis de ceux qui préfèrent la solidité au flou,  l’adhésion réfléchie aux enthousiasmes pulsionnels, la réalité du changement à l’image du changement. Souvenons du conseil du vieux Sénèque : « Ayez surtout le souci de séparer les choses du bruit qu'elles font ».

Publié dans jeunesavecdsk

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E
Très bonne analyse, à défaut du monde, je me suis permis de la reprendre sur le blog SD 14
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T
très juste analyse, Le Monde l'a-t-il publiée ?
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